Public - Privé : des contrats à la pelle !
Depuis 2003, le Grand Dijon a affermé la gestion des transports collectifs de l’agglomération au groupe privé Kéolis. Le contrat de délégation de service public, renouvelé en 2010 pour 7 ans, confie à l’entreprise l’exploitation du réseau, sa maintenance et son entretien. En échange le contrat prévoit des objectifs de service (nombre de voyageurs, régularité, amplitude horaire…) et une contribution forfaitaire du Grand Dijon qui représentait plus de 48,5 millions d’euros en 2012 car … « l’exploitation des transports en commun est par nature une activité déficitaire» (cf : mensuel du GD de mars 2013). Dans le cadre de ce contrat, le Grand Dijon reste propriétaire des équipements mais rémunère une entreprise privée pour gérer le service de transports publics. Depuis la loi Sapin de 1993 (il ne vous dit rien ?), le transfert des services publics vers le privé se multiplient. Ils sont devenus l’alpha et l’omega de la gestion des services publics pour de nombreuses collectivités territoriales, qui, comme pour le Grand Dijon, revendiquent de n’être que des collectivités de mission de service public, et non plus de gestion. Sur le dijonnais, privatiser les services publics est bien devenu une mission, quelle que soit la forme retenue : de la gestion de l’eau au réseau de chaleur, du ramassage des ordures à la déchetterie, du Zénith à la piscine olympique, de l’aire d’accueil des gens du voyage au complexe funéraire ! Et les transports urbains, tram, bus et Velodi. Idéologiquement accrocs !
Gagnant-gagnant : la ligne du bonheur ?
A entendre les signataires de ce contrat de DSP, tout le monde y trouve son compte. D’abord pour Kéolis, bien entendu. Comment une entreprise privée pourrait-elle se charger d’un service public réputé déficitaire dans le cas contraire ? Keolis est une filiale de la SNCF (70% des parts) à laquelle participe la caisse des dépôts et de placement du Québec (30% des parts). Et elle entend bien un retour sur investissement. Lors du renouvellement de la DSP en janvier 2010, le groupe communiquait dans la foulée sur le chiffre d’affaire attendu, à hauteur de 390 millions d’euros sur 7 ans. Objectifs à tenir au service… des actionnaires ! Exemple venu du Nord : à Lille, l’opérateur Transpole (filiale de Kéolis) invoque aujourd’hui un contrat de DSP mal négocié avec Métropole Européenne de Lille (MEL), qui « fixe des objectifs irréalisables » pour expliquer le déficit de l’entreprise. Outre les hausses de tarifs de l’année écoulée, la collectivité territoriale négocie avec Transpole pour « déterminer la compensation qui pourrait [lui] être versée ». Quand les bénéfices sont au rendez-vous, le mariage est heureux, lorsque l’entreprise délégataire est dans le rouge, les collectivités sont sollicitées pour mettre la main au porte-monnaie. Client-usager ou administré, il faut payer ! En 2014, Kéolis a réalisé un bénéfice de 323 millions d’euros en France. Résultat net en hausse de 15,4 % !
Le service public : une affaire de spécialistes ?
Pour la communauté urbaine, comme l’explique le directeur de Keolis Dijon, « cela permet au Grand Dijon de confier à un spécialiste une mission qui requiert une expertise pointue ». Et surtout au Grand Dijon de se féliciter de n’embaucher que 220 agents. « L’expérience et la force de frappe d’une entité de dimension internationale » mis en avant sur le site de Kéolis concerne 3 points centraux : la formation des conducteurs grâce à un « simulateur de conduite éprouvé dans d’autres villes » et des services innovants comme Flexo (une ligne de bus régulière qui mène à un secteur géographique déterminé (zone d'activités, zone industrielle...) dans lequel les arrêts sont desservis "à la carte") et Pleine Lune (le noctambule dijonnaise des jeudis aux samedis soirs). Est expert qui veut ! 72% des 739 salariés de Kéolis Dijon (source Kéolis) sont des conducteurs, 84 % en ajoutant les employés de terrain (médiateurs, contrôleurs). Le non renouvellement du contrat de DSP que nous appelons de nos vœux peut déboucher sur la mise en place d’une régie publique du réseau de transport collectif dijonnais (gestion directe par le Grand Dijon du service public avec ses propres moyens financiers et humains). La transformation des contrats de travail de droit privé en contrat de travail de droit public au moins équivalent (rémunération, CDI, avantages acquis) est prévue par le droit du travail (loi du 26 juillet 2005), les employés compétents actuellement le seront tout autant en acceptant ce nouveau contrat. D’autres frais pourront être réduits par la même occasion, ceux concernant la communication et le marketing, mais surtout les frais de siège et les rémunérations d’actionnaires sur lesquels la publicité de l’information est moins évidente.
Ou une affaire de porte-monnaie ?
Dans un contexte de baisse des dotations d’Etat, la seule issue envisagée est de ratiboiser sur les investissements publics et les frais de gestion des collectivités territoriales dont le budget doit demeurer à l’équilibre. Des Partenariats Public-Privé (PPP) ont ainsi complété le développement du réseau lors de l’arrivée du tram. Le premier, de 26 ans, signé en juillet 2010 avec la société Ineo, concerne la conception, la construction, mais surtout la maintenance et le financement de l’ensemble des équipements électriques (dont panneaux photovoltaïques sur le centre de maintenance du tram) et des systèmes de commande des deux lignes de tramway. Le second, conclu en mai 2012 pour 15 ans avec les sociétés Heuliez Bus et la banque Barclays, porte sur l’achat de 102 bus hybrides. André Gervais, élu de la majorité chargé des questions de transport au Grand Dijon, assume « vendre sans état d’âme » ce type de partenariat, précisant qu’ « il est tout aussi possible de se faire plumer avec une DSP que dans un PPP ». Enthousiasme prudent pour le moins. Et vu la durée des contrats, les élus d’aujourd’hui ne seront plus directement responsables au moment des redditions de compte. L’avantage a priori premier de ces types de contrats est financier, car il permet aux collectivités d’investir dans les services publics à crédit, en partageant les investissements initiaux, ceux d’aujourd’hui, avec des entreprises privées. L’investisseur prend un risque mesuré, et il le fait payer, d’autant que les contrats peuvent être renégociés en cours de route. Pour reprendre les propos du travailliste anglais David Taylor (blairiste), « chaque centime levé pour financer les services publics [via les PPP] est au final payé par le portefeuille public, plus les intérêts, plus les profits ». Le contribuable payera ainsi ces investissements au prix fort, mais étalé dans le temps. Bien que la municipalité justifie la hausse des impôts locaux par la baisse (réelle) des dotations d’Etat et le souhait de maintenir le niveau d’investissement de la ville, le choix revendiqué de la multiplication des DSP et PPP n’est pas étranger à l’aggravation de l’« urgence budgétaire ». Contribuable « investisseur » et, désormais, client des services « publics », la pression est amplifiée.
Le Parti de Gauche de Côte d'Or.